La question de la pénibilité du travail

, par Eric

Extrait du Journal du Centre du 23 Mars 2023. Élodie et Sandrine expliquent la pénibilité du travail de caissière.

Extrait du JDC du 23 Mars 2023

La question de la pénibilité du travail s’est invitée au cœur des mobilisations contre la réforme des retraites. Nous donnons, toute cette semaine, la parole à des Nivernaises exerçant des professions invisibilisées, peu considérées, mais néanmoins essentielles. Élodie et Sandrine racontent les dessous de la profession de caissière, entre usure physique et incivilités des clients.

L’une a été caissière, l’autre l’est depuis peu. Élodie et Sandrine racontent les joies et les peines de ce métier qu’elles « ne se voient pas faire jusqu’au bout ».

Alice Forges
alice.forges@centrefrance.com

Une voix enregistrée diffuse en continu son message à caractère d’orientation, habillant la sortie des rayons d’une politesse convenue, et poussant, d’un sourire, les clients vers les hôtesses. “Caisse numéro 28. Merci !”
« Depuis que la file unique de la clientèle a été mise en place, en septembre, on appuie, on appuie. Dès qu’on est disponible, on appelle le client. Sinon, il râle. »
Élodie, 23 ans, travaille depuis deux ans comme caissière à Carrefour pour un salaire de 1.300 € par mois.

Des clients de plus en plus difficiles

Son métier, particulièrement féminisé malgré une présence plus soutenue de collègues masculins en contrats pros et étudiants, est souvent exercé à temps partiel. Un aspect qui n’est pas sans conséquence sur les retraites futures. « Mais ce qui est bien, c’est que nous faisons nos horaires nous-mêmes », relate Élodie.
Une autonomisation appréciée des “îlots” qui se voient ainsi libres d’organiser leurs plages de travail, avec une plus grande flexibilité.
« Et, c’est une chance, on n’est pas ouverts le dimanche… Pour l’instant ! », enchaîne Sandrine, employée à l’accueil, 47 ans dont vingt-deux chez Carrefour et déléguée FO.

Élodie, comme beaucoup de ses collègues, ne se voit pas « faire ça jusqu’au bout ».
Répétition des mouvements, charges à soulever, brouhaha constant auquel s’ajoute le volume sonore de la musique de la galerie commerçante ne peuvent être endurés plus de quarante ans.

Au bout de deux, la jeune femme présente déjà des douleurs à l’épaule.
Les troubles musculosquelettiques ne sont pas rares dans la profession, et nombre de ses collègues bénéficient déjà d’un mi-temps thérapeutique.
« Celles qui sont affectées au libre-service, c’est qu’elles ne sont plus aptes à la caisse. »

Mais le plus difficile aujourd’hui, ce sont, peut-être, les clients. Incivilités, impolitesse, voire racisme : Sandrine en sait quelque chose.
« Depuis la crise du Covid, surtout, les gens ont besoin d’évacuer. Et puis un centime, c’est un centime. Littéralement. On vient nous voir à l’accueil pour ça. »

« Les prix augmentent, les rayons ne sont parfois pas assez remplis, et il y a un manque de personnel », témoigne Élodie.
Lorsqu’elle demande un peu de compréhension face à une situation compliquée, certains n’hésitent pas à lui rétorquer, agressifs, qu’elle est « payée pour ça ».
« Les jeunes n’ont pas été formées à répondre la violence, elles subissent tout cela en permanence », regrette Sandrine.

Les clients, heureusement, ne sont pas tous de cette triste trempe. Mais l’automatisation à l’œuvre tend à réduire les contacts humains en même temps que l’impatience des acheteurs. L’instauration de la file unique diminue les possibilités de se diriger vers la caissière de son choix, ce qui participe à créer, par l’habitude, une forme de familiarité dans le quotidien. « On est de plus en plus robotisées », constate Élodie.

Intéressement, tickets-restaurants, chèques-vacances, comité d’entreprise impliqué allègent cependant le sentiment d’impuissance : « C’est sûr, il y a pire », souligne Élodie, qui ajoute, mettant en avant la solidarité des équipes : « Heureusement qu’on s’entend bien, qu’on rigole ! ».
Une complicité qui se faufile, joyeuse, au milieu de l’implacable régularité des “bips”.

L’article sur le site du JDC